Des travailleurs s’agitent sous mes yeux depuis l’aube, dans une usine située sur la côte de la mer d’Andaman au sud du Myanmar, proche de Myeik. Les ouvriers, essentiellement des adolescents, travaillent ici jour et nuit à la fabrication de farine animale destinée à l’exportation vers la Thaïlande. Une odeur nauséabonde se dégage de ce lieu et imprègne l’air, les outils, les vêtements, jusqu’aux pores de la peau. À une centaine de mètres des quais, des bassins sphériques d’une profondeur de quelques mètres sont remplis quotidiennement de tonnes de poissons ; dans une des sphères, au trois quart vide, un jeune homme, pieds nus, vêtu d’un simple longyi et d’un foulard sur le nez pousse à l’aide d’un râteau le précieux résidu en putréfaction, devenu à la fois liquide, épais et collant, en direction d’un convoyeur motorisé qui achemine à son tour le tout vers les différentes étapes nécessaires à sa transformation.
Le changement d’équipe me permet d’accompagner certains ouvriers à leurs logements, dans un immeuble en construction situé de l’autre côté de la rue. Les pièces semblent toutes de même taille, assez étroite. Dans l’une d’entre elles, six adolescents regardent un téléfilm sur un poste de télévision pendant qu’une mère assise au fond de la pièce nourrit son bébé. Non loin de là, un jeune Birman appuyé à une rambarde dans une attitude élégante et naturelle pose son regard sur l’usine située en contrebas dans laquelle il travaille.
Je choisis alors cet instant pour le photographier.
Cette image fait partie d’une galerie de portrait d’hommes, de femmes, d’enfants, au quotidien souvent rude. Ce travail commencé en 2013 en Birmanie, aujourd’hui Myanmar se veut le portrait intime d’un pays qui continue sa longue route vers la démocratie, entreprise en 2011 après des décennies d’isolement.