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INDE, VÂRÂNASÎ Vârânasî est certainement le cœur spirituel de l’Inde et Manikarnika Ghât, un lieu sacré de l’Hindouisme. Cette place consacrée aux crémations est paradoxalement empreinte de vie jour et nuit. Les couleurs rosées du matin contrastent avec la dureté de la vie quotidienne des travailleurs qui permettent la crémation de 100 à 250 corps par jour. Les gestes et tâches de chacun sont orchestrés de génération en génération afin de permettre au défunt une nouvelle naissance. Les premières lueurs de l’aube voient apparaître les silhouettes fantômatiques de certains habitants ou religieux terminant leurs prières. Non loin de là, les derniers feux se consument sous l’œil avisé des Doms (caste responsable de la crémation des corps) et des chiens errants souvent affamés, cherchant aussi la chaleur que procurent les crémations. Il est 6h00. Une petite pause tabac est nécessaire pour commencer cette journée qui s’annonce déjà interminable. Il faut désormais éteindre les restants de braises afin de collecter les cendres, puis en nettoyant ces dernières dans le Gange, y trouver les bijoux des défunts. Les travailleurs, sous l’œil aiguisé des supérieurs (qui garderont les pièces les plus importantes), pourront, ainsi, après quelques heures de travail, l’eau jusqu’à la taille, récolter quelques revenus supplémentaires. Ces bijoux seront ainsi refondus et revendus après transformation. La vie s’éveille à nouveau au rythme des travailleurs, des passants, des familles et des spectateurs. Le soleil lèche de ces rayons matinaux les derniers dormeurs. Au milieu de ce gigantesque théâtre, Manisha, 12 ans ramasse quelques morceaux de charbon de bois éparpillé ici et là. Le bois est ainsi récupéré pour la préparation du thé. Manisha, véritable patronne préparera ainsi le thé et le vendra jusque tard dans la nuit. Manikarnika Ghât est une société dans la société. C’est une place autonome qui fait vivre environs 1000 familles. Les travailleurs ont pour certains d’entre eux leurs maisons à quelques mètres du site. À partir de 10h00, les corps décorés de couronnes de fleurs arrivent à une fréquence régulière. Les bûchers sont préparés méthodiquement. Il faut environ 200 kg à 400 kg de bois pour brûler un corps. Le site doit donc être ravitaillé en permanence. C’est ainsi que les bateaux arrivent tous les 2 jours, à raison parfois de 3 jours de voyage. Commence alors un dur labeur, celui de décharger les différentes embarcations puis de stocker le bois après l’avoir coupé. Il arrive parfois, lors de la coupe, de trouver du miel. Celui-ci servira à la cuisine ainsi qu’à différents remèdes médicaux. Ce va-et-vient permanent côtoie celui des fournisseurs de paille, qui permettra l’amorce du feu, puis des livreurs de pierres destinées aux défunts ne pouvant pas, selon la tradition hindoue, être brûlés (femmes enceintes, enfants, religieux, lépreux et les personnes victimes de morsures de serpents). Les corps ainsi lestés sont emmenés au large puis jetés dans le Gange. Ce jour là, deux pierres se sont vendues à une demie heure d’intervalle. La première était destinée à une femme. La deuxième plus petite était destinée à son enfant de quelques semaines. Le corps posé délicatement à l’avant du bateau fait son dernier voyage entouré de son drap mortuaire de couleur blanche. Dans un dernier recueillement le père des défunts jettent les corps à l’eau. Le bateau revient sur la rive et la vie recommence à nouveau. Les contremaîtres donnent les derniers ordres pour la préparation des prochains bûchers et Manisha, fidèle au poste, propose en guise de réconfort le thé aux familles. Les corps se consument lentement aux dernières lueurs du jour. Les doms surveillent le déroulement du feu tandis que les brahmans aident les familles à respecter l’ordre de la cérémonie. Dans un dernier hommage celles-ci, accompagnées par une partie du village, se retirent non loin de là pour se purifier dans l’eau du Gange. Il fait déjà nuit mais l’activité reprend de plus belle. Sous la lueur d’une petite ampoule, les transactions se font entre le père de famille et la caste des doms. Celui-ci paie son dû pour l’achat du bois destiné à la crémation de son grand père. À l’opposé de ces scènes, un sâdhu, calme, divin, pose son regard sur le Gange, le temps d’une prière. |